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idées. Laissez-moi le faire causer de temps en temps sans le déranger, et quand je serai au fait, je vous expliquerai ce qui se passe dans sa tête.

« — Mais enfin, mademoiselle, il n’a pas l’esprit dérangé ?

« — Je ne le pense pas », ai-je répondu ; et j’ai fait là un gros mensonge, que Dieu me le pardonne !

« Mon premier mouvement a été d’épargner l’illusion de cette pauvre femme, qui est une méchante sorcière, à la vérité, mais qui est mère, et qui a le bonheur de ne pas voir la folie de son fils. Cela est toujours fort étrange. Il faut que Gottlieb, qui m’a montré si naïvement ses bizarreries, ait une folie silencieuse avec ses parents. En y songeant, je me suis imaginé que je tirerais peut-être de la simplicité de ce malheureux quelques renseignements sur les autres habitants de ma prison, et que je découvrirais, par le hasard de ses réponses, l’auteur de mes billets anonymes. Je veux donc m’en faire un ami, d’autant plus que ses sympathies me paraissent soumises à celles du rouge-gorge, et que, décidément, le rouge-gorge m’honore de la sienne. Il y a de la poésie dans l’esprit malade de ce pauvre enfant ! Le petit oiseau un ange, le chat un méchant esprit qui sera pardonné ! Qu’est-ce que tout cela ? Il y a dans ces têtes germaniques, même les plus détraquées, un luxe d’imagination que j’admire.

« Tant il y a que madame Schwartz est fort contente de ma condescendance, et que me voilà très-bien avec elle pour le moment. Les billevesées de Gottlieb me seront une distraction. Pauvre être ! Celui-là, depuis aujourd’hui que je le connais, il ne m’inspire plus d’éloignement. Un fou, cela ne doit pas être méchant dans ce pays-ci, où les gens d’esprit et de haute raison sont si loin d’être bons !