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dans mon sommeil un autre cantique plus beau que le mien, que j’essaie le lendemain de me rappeler et de chanter à mon tour. À présent que j’ai des crayons, comme il me reste un peu de papier réglé, je vais écrire mes compositions. Un jour peut-être, vous les essaierez, mes chers amis, et je ne serai pas morte tout entière.

Le 4. — « Ce matin le rouge-gorge est entré dans ma chambre, et il est resté plus d’un quart d’heure. Il y a quinze jours que je l’invite à me faire cet honneur, et enfin il s’y est décidé aujourd’hui. Il demeure dans un vieux lierre qui se traîne jusqu’à ma fenêtre, et que mes gardiens épargnent, parce qu’il donne un peu de verdure à leur porte située à quelques pieds au-dessous. Le joli petit oiseau me regardait depuis longtemps d’un air curieux et méfiant. Attiré par la mie de pain que je lui roule en forme de petits vers, et que je fais tourner dans mes doigts pour l’agacer par l’aspect d’une proie vivante, il venait légèrement, et comme porté par un coup de vent, jusqu’auprès de mes barreaux ; mais dès qu’il s’apercevait de la tromperie, il s’en allait d’un air de reproche, et faisait entendre un petit râlement qui ressemblait à une injure. Et puis ces vilains barreaux de fer, si serrés et si noirs, à travers lesquels nous avons fait connaissance, ressemblent tant à une cage, qu’il en avait horreur. Cependant aujourd’hui, comme je ne pensais plus à lui, il s’est déterminé à les traverser, et il est venu, sans penser à moi, je le crois bien aussi, se poser sur un barreau de chaise, dans ma chambre. Je n’ai pas bougé afin de ne pas l’effaroucher, et il s’est mis à regarder autour de lui d’une manière étonnée. Il avait l’air d’un voyageur qui vient de découvrir un pays inconnu, et qui fait ses observations afin de raconter des choses merveilleuses à ses amis. C’était moi qui l’éton-