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me succédera dans cette cellule, et qui retrouvera la cachette de la muraille où j’ai trouvé moi-même le papier et le crayon qui me servent à vous écrire. Oh ! maintenant, je remercie ma mère de m’avoir fait apprendre à écrire, elle qui ne le savait pas ! Oui, c’est un grand soulagement que d’écrire en prison. Mon triste chant ne perçait pas l’épaisseur de ces murailles et ne pouvait aller jusqu’à vous. Mon écriture vous parviendra un jour… et qui sait si je ne trouverai pas un moyen de vous l’envoyer bientôt ? J’ai toujours compté sur la Providence.

Le 3. — « J’écrirai brièvement et sans m’arrêter à de longues réflexions. Cette petite provision de papier, fin comme de la soie, ne sera pas éternelle, et ma captivité le sera peut-être. Je vous dirai quelques mots chaque soir avant de m’endormir. Je veux aussi ménager ma bougie. Je ne puis écrire le jour, je risquerais d’être surprise. Je ne vous raconterai pas pourquoi j’ai été envoyée ici : je ne le sais pas, et, en tâchant de le deviner avec vous, je compromettrais peut-être des personnes qui ne m’ont pourtant rien confié. Je ne me plaindrai pas non plus des auteurs de mon infortune. Il me semble que si je me laissais aller au reproche et au ressentiment, je perdrais la force qui me soutient. Je ne veux penser ici qu’à ceux que j’aime, et à celui que j’ai aimé.

« Je chante tous les soirs pendant deux heures, et il me semble que je fais des progrès. À quoi cela me servira-t-il ? Les voûtes de mon cachot me répondent, elles ne m’entendent pas… Mais Dieu m’entend, et quand j’ai composé un cantique que je lui chante dans la ferveur de mon âme, j’éprouve un calme céleste, et je m’endors presque heureuse. Il me semble que du ciel on me répond, et qu’une voix mystérieuse me chante