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Journal de Consuelo,
dite Porporina.
Prisonnière à Spandaw, avril 175*

Le 2. — « Je n’ai jamais écrit que de la musique, et quoique je puisse parler facilement plusieurs langues, j’ignore si je saurais m’exprimer d’un style correct dans aucune. Il ne m’a jamais semblé que je dusse peindre ce qui occuperait mon cœur et ma vie dans une autre langue que celle de l’art divin que je professe. Des mots, des phrases, cela me paraissait si froid au prix de ce que je pouvais exprimer avec le chant ! Je compterais les lettres, ou plutôt les billets que j’ai tracés à la hâte, et sans savoir comment, dans les trois ou quatre circonstances les plus décisives de ma vie. C’est donc la première fois, depuis que j’existe, que je sens le besoin de retracer par des paroles ce que j’éprouve et ce qui m’arrive. C’est même un grand plaisir pour moi de l’essayer. Illustre et vénéré Porpora, aimable et cher Haydn, excellent et respectable chanoine ***, vous, mes seuls amis, et peut-être vous aussi, noble et infortuné baron de Trenck, c’est à vous que je songe en écrivant ; c’est à vous que je raconte mes revers et mes épreuves. Il me semble que je vous parle, que je suis avec vous, et que dans ma triste solitude j’échappe au néant de la mort en vous initiant au secret de ma vie. Peut-être mourrai-je ici d’ennui et de misère, quoique jusqu’à présent ma santé ni mon courage ne soient sensiblement altérés. Mais j’ignore les maux que me réserve l’avenir, et si j’y succombe, du moins une trace de moi et une peinture de mon agonie resteront dans vos mains : ce sera l’héritage de quelque prisonnier qui