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cours, afin de prendre l’air. Mais ces promenades chagrinaient beaucoup M. Schwartz, parce que les enfants des autres gardiens et employés de la citadelle ne cessaient de courir après Gottlieb, en contrefaisant sa démarche nonchalante et disgracieuse, et en criant sur tous les tons :

« Des souliers ! des souliers ! cordonnier, fais- nous des souliers ! »

Gottlieb ne prenait point ces huées en mauvaise part ; il souriait à cette méchante engeance avec une sérénité angélique, et même il s’arrêtait pour répondre :

« Des souliers ? certainement, de tout mon cœur : venez chez moi, vous faire prendre mesure. Qui veut des souliers ? »

Mais M. Schwartz l’entraînait pour l’empêcher de se compromettre avec la canaille, et le cordonnier ne paraissait ni fâché ni inquiet d’être ainsi arraché à l’empressement de ses pratiques.

Dès les premiers jours de sa captivité, Consuelo avait été humblement requise par M. Schwartz, d’entrer en conférence avec Gottlieb pour essayer de réveiller en lui le souvenir et le goût de cette éloquence dont il avait paru être doué dans son enfance. Tout en avouant l’état maladif et l’apathie de son héritier, M. Schwartz, fidèle à la loi de nature si bien exprimée par La Fontaine :

«Nos petits sont mignons
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons.»

n’avait pas décrit très-fidèlement les agréments du pauvre Gottlieb, sans quoi Consuelo n’eût peut-être pas refusé, comme elle le fit, de recevoir dans sa cellule un jeune homme de dix-neuf ans, qu’on lui dépeignait ainsi qu’il suit : « Un grand gaillard de cinq pieds huit pouces, qui