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méditation d’un être pensant. Le chat avait été baptisé par l’enfant du nom de Belzébuth, par antithèse sans doute à celui que l’enfant avait reçu de monsieur et madame Schwartz, ses père et mère, le nom pieux et sacré de Gottlieb.

Gottlieb, destiné à l’état ecclésiastique, avait fait jusqu’à l’âge de quinze ans de bonnes études et de rapides progrès dans la liturgie protestante. Mais, depuis quatre ans, il vivait inerte et malade, près des tisons, sans vouloir se promener, sans désirer de voir le soleil, sans pouvoir continuer son éducation. Une crue rapide et désordonnée l’avait réduit à cet état de langueur et d’indolence. Ses longues jambes grêles pouvaient à peine supporter cette stature démesurée et quasi disloquée. Ses bras étaient si faibles et ses mains si gauches, qu’il ne touchait à rien sans le briser. Aussi sa mère avare lui en avait-elle interdit l’usage, et il n’était que trop porté à lui obéir en ce point. Sa face bouffie et imberbe, terminée par un front élevé et découvert, ne ressemblait pas mal à une poire molle. Ses traits étaient aussi peu réguliers que les proportions de son corps. Ses yeux semblaient complètement égarés, tant ils étaient louches et divergents. Sa bouche épaisse avait un sourire niais ; son nez était informe, son teint blême, ses oreilles plates et plantées beaucoup trop bas ; des cheveux rares et raides couronnaient tristement cette insipide figure, plus semblable à un navet mal épluché qu’à la mine d’un chrétien ; du moins telle était la poétique comparaison de madame sa mère.

Malgré les disgrâces que la nature avait prodiguées à ce pauvre être, malgré la honte et le chagrin que madame Schwartz éprouvait en le regardant, Gottlieb, fils unique, malade inoffensif et résigné, n’en était pas moins le seul amour et le seul orgueil des auteurs de ses jours.