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mais aucun d’eux ne se sentait le courage de protester par des témoignages extérieurs contre la disgrâce prononcée par le roi. Ils étaient tristes, contraints, et comme frappés de la peur de la contagion. Consuelo qui ne voulut pas attribuer cette manière d’être à la lâcheté, mais à la compassion, crut lire dans leur contenance abattue l’arrêt d’une longue captivité. Elle s’efforça de leur montrer qu’elle ne s’en effrayait pas, et parut sur la scène avec une confiance courageuse.

Il se passa en ce moment quelque chose d’assez bizarre dans la salle. L’arrestation de la Porporina ayant fait beaucoup de bruit, et l’auditoire n’étant composé que de personnes dévouées par conviction ou par position à la volonté royale, chacun mit ses mains dans ses poches, afin de résister au désir et à l’habitude d’applaudir la cantatrice disgraciée. Tout le monde avait les yeux sur le monarque, qui, de son côté, promenait des regards investigateurs sur la foule et semblait lui imposer le silence le plus profond. Tout à coup une couronne de fleurs, partie on ne sait d’où, vint tomber aux pieds de la cantatrice, et plusieurs voix prononcèrent simultanément et assez haut pour être entendues des divers points de la salle où elles s’étaient distribuées, les mots : C’est le roi ! c’est le pardon du roi ! Cette singulière assertion passa de bouche en bouche avec la rapidité de l’éclair ; et chacun croyant faire son devoir et complaire à Frédéric, une tempête d’applaudissements, telle que de mémoire d’homme on n’en avait ouï à Berlin, se déchaîna depuis les combles jusqu’au parterre. Pendant plusieurs minutes, la Porporina, interdite et confondue d’une si audacieuse protestation, ne put commencer son rôle. Le roi, stupéfait, se retourna vers les spectateurs avec une expression terrible, qu’on prit pour un signe d’adhésion et d’encouragement. Bud-