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pour madame l’abbesse, d’une faiblesse qui va jusqu’à l’enfantillage ; et quant aux devins, il veut seulement savoir s’ils prennent de l’argent pour débiter leurs sornettes, auquel cas il les prie de quitter le pays, et tout est dit. Vous voyez bien que vous vous abusez sur l’importance de votre rôle, et que si vous aviez voulu répondre tranquillement à quelques questions sans conséquence, vous n’auriez point passé un si triste carnaval dans les prisons de l’État. »

Consuelo laissa babiller le vieux courtisan sans l’interrompre, et lorsqu’il la pressa de répondre, elle persista à dire qu’elle ne savait de quoi il voulait lui parler. Elle sentait un piège sous cette frivolité bienveillante, et elle ne s’y laissa point prendre.

Alors Pœlnitz changea de tactique, et d’un ton sérieux :

« C’est bien ! lui dit-il, vous vous méfiez de moi. Je ne vous en veux pas, et, au contraire, je fais grand cas de la prudence. Puisque vous êtes ainsi, mademoiselle, je vais, moi, vous parler à découvert. Je vois bien qu’on peut se fier à vous, et que notre secret est en bonnes mains. Apprenez donc, signora Porporina, que je suis votre ami plus que vous ne pensez, car je suis un des vôtres ; je suis du parti du prince Henry.

— Le prince Henry a donc un parti ? dit la Porporina, curieuse d’apprendre dans quelle intrigue elle se trouvait enveloppée.

— Ne faites pas semblant de l’ignorer, reprit le baron. C’est un parti que l’on persécute beaucoup en ce moment, mais qui est loin d’être désespéré. Le grand lama, ou, si vous aimez mieux, M. le marquis, n’est pas si solide sur son trône qu’on ne puisse le faire dégringoler. La Prusse est un bon cheval de bataille ; mais il ne faut pas le pousser à bout.