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quents rapports d’administration théâtrale avec la prima donna, M. de Pœlnitz, qui, en qualité d’ex-roué, n’aimait pas les filles vertueuses, lui avait témoigné beaucoup de froideur et de sécheresse. Il lui avait même parlé souvent de sa conduite régulière et de ses manières réservées avec une ironie désobligeante. On savait bien à la cour que le vieux chambellan était le mouchard du roi, mais Consuelo n’était pas initiée aux secrets de cour, et elle ne savait pas qu’on pût faire cet odieux métier sans perdre les avantages d’une apparente considération dans le grand monde. Cependant un vague instinct de répulsion disait à Consuelo que Pœlnitz avait contribué plus que tout autre à son malheur. Elle veilla donc à toutes ses paroles lorsqu’elle se trouva seule avec lui le lendemain, dans la voiture qui les conduisait rapidement à Berlin, vers le déclin du jour.

« Eh bien, ma pauvre recluse, lui dit-il, vous voilà diablement matée ! Sont-ils farouches ces cuistres de vétérans qui vous gardent ! Jamais ils n’ont voulu me permettre d’entrer dans la citadelle, sous prétexte que je n’avais point de permission, et voilà, sans reproche, un quart d’heure que je gèle en vous attendant. Allons, enveloppez-vous bien de cette fourrure que j’ai apportée pour préserver votre voix, et contez-moi donc un peu vos aventures. Que diable s’est-il donc passé à la dernière redoute du carnaval ? Tout le monde se le demande, et personne ne le sait. Plusieurs originaux qui, selon moi, ne faisaient de mal à personne, ont disparu comme par enchantement. Le comte de Saint-Germain, qui est de vos amis, je crois ; un certain Trismégiste, qu’on disait caché chez M. de Golowkin, et que vous connaissez peut-être aussi, car on dit que vous êtes au mieux avec tous ces enfants du diable…

— Ces personnes ont été arrêtées ? demanda Consuelo.