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envers Trenck. Il m’a sauvé la vie ; s’il le faut, je la perdrai pour lui.

Ranimée par cette idée généreuse, elle acheva son paquet avec beaucoup de présence d’esprit, et se trouva prête lorsque Buddenbrock vint la prendre pour partir. Elle lui trouva l’air encore plus hypocrite et plus méchant que de coutume. À la fois rampant et rogue, Buddenbrock était jaloux des sympathies de son maître, comme les vieux chiens qui mordent tous les amis de la maison. Il avait été blessé de la leçon que le roi lui avait donnée, tout en le chargeant de faire souffrir la victime, et il ne demandait qu’à s’en venger sur elle.

« Vous me voyez tout en peine, mademoiselle, lui dit-il, d’avoir à exécuter des ordres aussi rigoureux. Il y avait bien longtemps qu’on n’avait vu à Berlin pareille chose… Non, cela ne s’était pas vu depuis le temps du roi Frédéric-Guillaume, l’auguste père de sa Majesté régnante. Ce fut un cruel exemple de la sévérité de nos lois et du pouvoir terrible de nos princes. Je m’en souviendrai toute ma vie.

— De quel exemple voulez-vous parler, monsieur ? dit Consuelo qui commençait à croire qu’on en voulait à sa vie.

— D’aucun en particulier, reprit Buddenbrock ; je voulais parler du règne de Frédéric-Guillaume qui fut, d’un bout à l’autre, un exemple de fermeté, à ne jamais l’oublier. Dans ces temps-là, on ne respectait ni âge ni sexe, quand on pensait avoir une faute grave à punir. Je me souviens d’une jeune personne fort jolie, fort bien née et fort aimable, qui, pour avoir reçu quelquefois la visite d’un auguste personnage contre le gré du roi, fut livrée au bourreau et chassée de la ville après avoir été battue de verges.

— Je sais cette histoire, monsieur, répondit Con-