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XIV.

Consuelo fut reconduite chez elle dans la même voiture qui l’avait amenée au palais. Deux factionnaires furent posés devant chaque porte de son appartement, dans l’intérieur de la maison, et M. de Buddenbrock lui donna, montre en main, suivant son habitude imitée de la rigide ponctualité du maître, une heure pour faire ses préparatifs, non sans l’avertir que ses paquets seraient soumis à l’examen des employés de la forteresse qu’elle allait habiter. En rentrant dans sa chambre, elle trouva tous ses effets dans un désordre pittoresque. Pendant sa conférence avec le roi, des agents de la police secrète étaient venus, par ordre, forcer toutes les serrures et s’emparer de tous les papiers. Consuelo, qui ne possédait, en fait d’écritures, que de la musique, éprouva quelque chagrin en pensant qu’elle ne reverrait peut-être jamais ses précieux et chers auteurs, la seule richesse qu’elle eût amassée dans sa vie. Elle regretta beaucoup moins quelques bijoux, qui lui avaient été donnés par divers grands personnages à Vienne et à Berlin, comme récompense de ses soirées de chant. On les lui prenait, sous prétexte qu’ils pouvaient contenir des bagues à poison ou des emblèmes séditieux. Le roi n’en sut jamais rien, et Consuelo ne les revit jamais. Les employés aux basses œuvres de Frédéric se livraient sans pudeur à ces honnêtes spéculations, étant peu payés d’ailleurs, et sachant que le roi aimait mieux fermer les yeux sur leurs rapines que d’augmenter leurs salaires.

Le premier regard de Consuelo fut pour son crucifix ; et en voyant qu’on n’avait pas songé à le saisir, sans doute à cause de son peu de valeur, elle le décrocha bien vite