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jugés de l’autorité absolue. Aucun reproche ne pouvait être plus sanglant que celui que feignait de lui adresser Consuelo pour lui rappeler ses anciennes infortunes et lui faire sentir son injustice présente. Il en fut frappé jusqu’au cœur ; mais l’effet de la blessure fut aussi peu salutaire à son âme endurcie que le supplice du major Katt l’avait été jadis. Il se leva, et dit d’une voix altérée :

« C’est assez, vous pouvez vous retirer. »

Il sonna, et durant le peu de secondes qui s’écoulèrent avant l’arrivée de ses gens, il rouvrit son livre, et feignit de s’y replonger. Mais un tremblement nerveux agitait sa main et faisait crier la feuille qu’il s’efforçait de retourner.

Un valet entra, le roi lui fit un signe, et Consuelo fut emmenée dans une autre pièce. Une des petites levrettes du roi qui n’avait cessé de la regarder en remuant la queue, et de gambader autour d’elle pour provoquer ses caresses, se mit en devoir de la suivre ; et le roi, qui n’avait d’entrailles paternelles que pour ces petits animaux, fut forcé de rappeler Mopsule, au moment où elle franchissait la porte sur les traces de la condamnée. Le roi avait la manie, non dénuée de raison peut-être, de croire ses chiens doués d’une espèce de divination instinctive des sentiments de ceux qui l’approchaient. Il prenait de la méfiance lorsqu’il les voyait s’obstiner à faire mauvais accueil à certaines gens, et au contraire il se persuadait qu’il pouvait compter sur les personnes que ses chiens caressaient volontiers. Malgré son agitation intérieure, la sympathie bien marquée de Mopsule pour la Porporina ne lui avait pas échappé, et lorsqu’elle revint vers lui en baissant la tête d’un air de tristesse et de regret, il frappa sur la table en se disant à lui-même et en pensant à Consuelo : « Et pourtant, elle n’a pas de mauvaises intentions contre moi ! »