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à profit pour se tracer un plan de conduite. Elle sentait que ce qu’elle devait le plus éviter, c’était l’interrogatoire habile et pénétrant dont le roi allait l’envelopper comme d’un filet. Qui pouvait se flatter de déjouer un pareil juge criminel ? Elle risquait de tomber dans ses pièges, et de perdre la princesse en croyant la sauver. Elle prit donc la généreuse résolution de ne pas chercher à se justifier, de ne pas même demander de quoi on l’accusait, et d’irriter le juge par son audace, jusqu’à ce qu’il eût prononcé sans lumière et sans équité sa sentence ab irato. Dix minutes se passèrent sans que le roi levât les yeux de dessus son livre. Peut-être voulait-il lui donner le temps de se raviser ; peut- être sa lecture avait-elle réussi à l’absorber.

« Avez-vous pris votre parti ? dit-il en posant enfin le livre, et en croisant ses jambes, le coude appuyé sur la table.

— Je n’ai point de parti à prendre, répondit Consuelo. Je suis sous l’empire de l’injustice et de la violence. Il ne me reste qu’à en subir les inconvénients.

— Est-ce moi que vous taxez de violence et d’injustice ?

— Si ce n’est vous, c’est le pouvoir absolu que vous exercez, qui corrompt votre âme, et qui égare votre jugement.

— Fort bien ; c’est vous qui vous posez en juge de ma conduite, et vous oubliez que vous n’avez que peu d’instants pour vous racheter de la mort.

— Vous n’avez pas le droit de disposer de ma vie ; je ne suis pas votre sujette, et si vous violez le droit des gens, tant pis pour vous. Quant à moi, j’aime mieux mourir que de vivre un jour de plus sous vos lois.

— Vous me haïssez ingénument ! dit le roi, qui semblait pénétrer le dessein de Consuelo, et qui le faisait