Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14

d’un air effaré le roi qui lui frappait dans les mains.

— C’est peut-être un transport au cerveau, dit le roi ; vous n’avez pas remarqué qu’elle fût épileptique ?

— Oh ! sire, jamais ! ce serait affreux, répondit le Porporino, blessé de la manière brutale dont le roi s’exprimait sur le compte d’une personne si intéressante.

— Ah ! tenez, ne la saignez pas, dit le roi en repoussant le médecin qui voulait s’armer de sa lancette ; je n’aime pas à voir froidement couler le sang innocent hors du champ de bataille. Vous n’êtes pas des guerriers, vous êtes des assassins, vous autres ! Laissez-la tranquille ; donnez-lui de l’air. Porporino, ne la laissez pas saigner ; cela peut tuer, voyez-vous ! Ces messieurs-là ne doutent de rien. Je vous la confie. Ramenez-la dans votre voiture, Pœlnitz ! Enfin vous m’en répondez. C’est la plus grande cantatrice que nous ayons encore eue, et nous n’en retrouverions pas une pareille de si tôt. À propos, qu’est-ce que vous me chanterez demain, monsieur Conciolini ? »

Le roi descendit l’escalier du théâtre avec le ténor en parlant d’autre chose, et alla se mettre à souper avec Voltaire, La Mettrie, d’Argens, Algarotti et le général Quintus Icilius.

Frédéric était dur, violent et profondément égoïste. Avec cela, il était généreux et bon, même tendre et affectueux à ses heures. Ceci n’est point un paradoxe. Tout le monde connaît le caractère à la fois terrible et séduisant de cet homme à faces multiples, organisation compliquée et remplie de contrastes, comme toutes les natures puissantes, surtout lorsqu’elles sont investies du pouvoir suprême, et qu’une vie agitée les développe dans tous les sens.

Tout en soupant, tout en raillant et devisant avec amertume et avec grâce, avec brutalité et avec finesse,