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« Voilà, mademoiselle, lui dit-il en s’asseyant vis-à-vis d’elle, le chapeau à la main, une magnifique matinée d’hiver !

— Certainement, monsieur le baron, répondit Consuelo d’un air moqueur, le temps est magnifique pour faire une promenade hors des murs. »

En parlant ainsi, Consuelo pensait, avec un enjouement stoïque qu’elle pourrait bien passer, en effet, le reste de cette magnifique journée sur la route de quelque forteresse. Mais Buddenbrock, qui ne concevait pas la sérénité d’une résignation héroïque, crut qu’elle le menaçait de le faire disgracier et enfermer si elle triomphait de l’épreuve orageuse qu’elle allait affronter. Il pâlit, s’efforça d’être agréable, n’en put venir à bout, et resta soucieux et décontenancé, se demandant avec angoisse en quoi il avait pu déplaire à la Porporina.

Consuelo fut introduite dans un cabinet, dont elle eut le loisir d’admirer l’ameublement couleur de rose, fané, éraillé par les petits chiens qui s’y vautraient sans cesse, saupoudré de tabac, en un mot très-malpropre. Le roi n’y était pas encore, mais elle entendit sa voix dans la chambre voisine, et c’était une affreuse voix lorsqu’elle était en colère :

« Je vous dis que je ferai un exemple de ces canailles, et que je purgerai la Prusse de cette vermine qui la ronge depuis trop longtemps, criait-il en faisant craquer ses bottes, comme s’il eût arpenté l’appartement avec agitation.

— Et Votre Majesté rendra un grand service à la raison et à la Prusse, répondit son interlocuteur ; mais ce n’est pas un motif pour qu’une femme…

— Si, c’est un motif, mon cher Voltaire. Vous ne savez donc pas que les pires intrigues et les plus infernales machinations éclosent dans ces petites cervelles-là ?