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« Méfie-toi du comte de Saint-Germain. »

Elle crut reconnaître la voix d’Uberti Porporino, son camarade, et le saisit par la manche de son domino en lui disant :

« Qui est le comte de Saint-Germain ? je ne le connais pas. »

Mais l’autre masque, sans chercher à déguiser sa voix, que Consuelo reconnut aussitôt pour celle du jeune Benda, le mélancolique violoniste, lui prit l’autre main en lui disant :

« Méfie-toi des aventures et des aventuriers. »

Et ils passèrent outre assez précipitamment, comme s’ils eussent voulu éviter ses questions.

Consuelo s’étonna d’être si facilement reconnue après s’être donné tant de soins pour se bien déguiser ; en conséquence, elle se hâta pour sortir. Mais elle vit bientôt qu’elle était observée et suivie par un masque qu’à sa démarche et à sa taille elle crut reconnaître pour M. de Pœlnitz, le directeur des théâtres royaux et le chambellan du roi. Elle n’en douta plus lorsqu’il lui adressa la parole, quelque soin qu’il prît pour changer son organe et sa prononciation. Il lui tint des discours oiseux, auxquels elle ne répondit pas, car elle vit bien qu’il désirait la faire parler. Elle réussit à se débarrasser de lui, et traversa la salle, afin de le dérouter s’il songeait à la suivre encore. Il y avait foule, et elle eut beaucoup de peine à gagner la sortie. En ce moment, elle se retourna pour s’assurer qu’elle n’était point remarquée, et fut assez surprise de voir, dans un coin, Pœlnitz, ayant l’air de causer confidemment avec le domino rouge qu’elle supposait être le comte de Saint-Germain. Elle ignorait que Pœlnitz l’eût connu en France ; et, craignant quelque trahison de la part de l’aventurier, elle rentra chez elle dévorée d’inquiétude, non pas tant pour elle-