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résolu de se méfier des captieuses déclarations des prétendus prophètes.

« Expliquez-vous, monsieur le comte, dit-elle en s’efforçant de garder un ton calme et froid. Je sais bien que le rôle d’Albert n’est pas fini sur la terre, et que son âme n’a pas été anéantie par le souffle de la mort. Mais les rapports qui peuvent subsister entre elle et moi sont couverts d’un voile que ma propre mort peut seule soulever, s’il plaît à Dieu de nous laisser un vague souvenir de nos existences précédentes. Ceci est un point mystérieux, et il n’est au pouvoir de personne d’aider à l’influence céleste qui rapproche dans une vie nouvelle ceux qui se sont aimés dans une vie passée. Que prétendez-vous donc me faire accroire, en disant que certaines sympathies veillent sur moi pour opérer ce rapprochement ?

— Je pourrais vous parler de moi seulement, répondit M. de Saint-Germain, et vous dire qu’ayant connu Albert de tout temps, aussi bien lorsque je servais sous ses ordres dans la guerre des hussites contre Sigismond, que plus tard, dans la guerre de trente ans, lorsqu’il était…

— Je sais, monsieur, que vous avez la prétention de vous rappeler toutes vos existences antérieures, comme Albert en avait la persuasion maladive et funeste. À Dieu ne plaise que j’aie jamais suspecté sa bonne foi à cet égard ! mais cette croyance était tellement liée chez lui à un état d’exaltation délirante, que je n’ai jamais cru à la réalité de cette puissance exceptionnelle et peut-être inadmissible. Épargnez-moi donc l’embarras d’écouter les bizarreries de votre conversation sur ce chapitre. Je sais que beaucoup de gens, poussés par une curiosité frivole, voudraient être maintenant à ma place, et