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— Ne discutons pas. Un voile couvre encore votre esprit, mais ce voile sera soulevé. Ce qu’il m’importe de savoir à présent, c’est votre position à l’égard de Trenck. S’il est votre amant, je me charge de cet envoi d’où sa vie dépend peut-être ; car il est privé de toutes ressources. Si vous refusez de vous prononcer, je refuse d’être votre intermédiaire.

— Eh bien, dit Consuelo avec un pénible effort, il est mon amant. Prenez le portefeuille, et hâtez-vous de le lui faire tenir.

— Il suffit, dit M. de Saint-Germain en prenant le portefeuille. Maintenant, noble et courageuse fille, laisse-moi te dire que je t’admire et te respecte. Ceci n’est qu’une épreuve à laquelle j’ai voulu soumettre ton dévouement et ton abnégation. Va, je sais tout ! Je sais fort bien que tu mens par générosité, et que tu as été saintement fidèle à ton époux. Je sais que la princesse Amélie, tout en se servant de moi, ne daigne pas m’accorder sa confiance, et qu’elle travaille à s’affranchir de la tyrannie du grand lama sans cesser de faire la princesse et la réservée. Elle est dans son rôle, et elle ne rougit pas de t’exposer, toi, pauvre fille sans aveu (comme disent les gens du monde), à un malheur éternel ; oui, au plus grand des malheurs ! celui d’empêcher la brillante résurrection de ton époux, et de plonger son existence présente dans les limbes du doute et du désespoir. Mais heureusement, entre l’âme d’Albert et la tienne, une chaîne de mains invisibles est tendue incessamment pour mettre en rapport celle qui agit sur la terre à la lumière du soleil, et celle qui travaille dans un monde inconnu, à l’ombre du mystère, loin du regard des vulgaires humains. »

Ce langage bizarre émut Consuelo, bien qu’elle eût