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ne pouvez pas comprendre le roi de Prusse, reprit Frédéric. Ne parlons donc pas de lui. Un jour viendra, quand vous aurez habité ce pays assez longtemps pour en connaître l’esprit et les besoins, où vous rendrez plus de justice à l’homme qui s’efforce de le gouverner comme il convient. En attendant, soyez un peu plus aimable avec ce pauvre baron, qui s’ennuie si profondément de la cour et des courtisans, et qui venait chercher ici un peu de calme et de bonheur, auprès d’une âme pure et d’un esprit candide. Je n’avais qu’une heure pour en profiter, et vous n’avez fait que me quereller. Je reviendrai une autre fois, à condition que vous me recevrez un peu mieux. J’amènerai Mopsule pour vous divertir, et, si vous êtes bien sage, je vous ferai cadeau d’un beau petit lévrier blanc qu’elle nourrit dans ce moment. Il faudra en avoir grand soin ! Ah ! j’oubliais ! Je vous ai apporté des vers de ma façon, des strophes sur la musique ; vous pourrez y adapter un air, et ma sœur Amélie s’amusera à le chanter. »

Le roi s’en alla tout doucement, après être revenu plusieurs fois sur ses pas en causant avec une familiarité gracieuse, et en prodiguant à l’objet de sa bienveillance de frivoles cajoleries. Il savait dire des riens quand il le voulait, quoique en général sa parole fût concise, énergique et pleine de sens. Nul homme n’avait plus de ce qu’on appelait du fond dans la conversation, et rien n’était plus rare à cette époque que ce ton sérieux et ferme dans les entretiens familiers. Mais avec Consuelo, il eût voulu être bon enfant, et il réussissait assez à s’en donner l’air, pour qu’elle en fût parfois naïvement émerveillée. Quand il fut parti, elle se repentit, comme à l’ordinaire, de ne pas avoir réussi à le dégoûter d’elle et de la fantaisie de ces dangereuses visites. De son côté, le roi s’en alla à demi mécontent de lui-même. Il