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donnée, vous n’en auriez peut-être que plus d’esprit et de malice. Tenez, j’y tiens beaucoup, à cette canne-là ; mais il vous faut une réparation, je le vois bien. »

En parlant ainsi, le roi ramassa sa canne, et se mit en devoir de la briser. Mais il eut beau s’aider du genou, le jonc plia et ne voulut point rompre.

« Voyez, dit le roi en la jetant dans le feu, ma canne n’est pas, comme vous le prétendez, l’image de mon sceptre. C’est celle de la Prusse fidèle, qui plie sous ma volonté, et qui ne sera point brisée par elle. Faites de même, Porporina, et vous vous en trouverez bien.

— Et quelle est donc la volonté de Votre Majesté à mon égard ? Voilà un beau sujet pour exercer l’autorité et pour troubler la sérénité d’un grand caractère !

— Ma volonté est que vous renonciez à quitter Berlin, la trouvez-vous offensante ? »

Le regard vif et presque passionné de Frédéric expliquait assez cette espèce de réparation. Consuelo sentit renaître ses terreurs, et, feignant de ne pas comprendre :

« Pour cela, répondit-elle, je ne m’y résignerai jamais. Je vois trop qu’il faudrait payer cher l’honneur d’amuser quelquefois Votre Majesté par mes roulades. Le soupçon pèse ici sur tout le monde. Les êtres les plus infimes et les plus obscurs ne sont point à l’abri d’une accusation, et je ne saurais vivre ainsi.

— Vous êtes mécontente de votre traitement, reprit le roi. Allons ! il sera augmenté.

— Non, sire. Je suis satisfaite de mon traitement, je ne suis pas cupide. Votre Majesté le sait.

— C’est vrai. Vous n’aimez pas l’argent, c’est une justice à vous rendre. On ne sait ce que vous aimez, d’ailleurs !

— La liberté, sire.

— Et qui gêne votre liberté ? Vous me cherchez que-