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bien il était timide, et perdit toutes ses craintes en voyant qu’il attendait ses avances. C’était une singulière destinée, que la seule femme capable d’exercer sur Frédéric une sorte de prestige ressemblant à l’amour, fût peut-être la seule dans tout son royaume qui n’eût voulu à aucun prix encourager cette disposition. Il est vrai que la répugnance et la fierté de Consuelo étaient peut-être son principal attrait aux yeux du roi. Cette âme rebelle tentait le despote comme la conquête d’une province ; et sans qu’il s’en rendît compte, sans qu’il voulût mettre sa gloire à ce genre d’exploits frivoles, il sentait une admiration et une sympathie d’instinct pour un caractère fortement trempé qui lui semblait avoir, à quelques égards, une sorte de parenté avec le sien.

« Voyons, dit-il en fourrant brusquement dans la poche de son gilet la main qu’il avait avancée vers Consuelo, ne me dites plus que je ne me soucie pas d’être haï ; car vous me feriez croire que je le suis et cette pensée me serait odieuse !

— Et cependant vous voulez qu’on vous craigne.

— Non, je veux qu’on me respecte.

— Et c’est à coups de canne que vos caporaux inspirent à vos soldats le respect de votre nom.

— Qu’en savez-vous ? De quoi parlez-vous là ? De quoi vous mêlez-vous ?

— Je réponds clair et net à l’interrogatoire de Votre Majesté.

— Vous voulez que je vous demande pardon d’un moment d’emportement provoqué par votre folie ?

— Au contraire ; si vous pouviez briser sur ma tête la canne-sceptre qui gouverne la Prusse, je prierais Votre Majesté de ramasser ce jonc.

— Bah ! quand je vous aurais un peu caressé les épaules avec, comme c’est une canne que Voltaire m’a