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de la chanoinesse, et quelque discrets que puissent être ses serviteurs, sois sûre qu’il ne se passe rien là qui soit plus qu’ailleurs à l’abri d’une certaine publicité. On avait beau cacher la bizarrerie du comte Albert, toute la province a bientôt réussi à la connaître, et il y avait longtemps qu’on en avait parlé à la petite cour de Bareith, lorsque Supperville fut appelé pour soigner ton pauvre époux. Il y a maintenant dans cette famille un autre mystère qu’on ne cache pas avec moins de soin sans doute, et qu’on n’a pas préservé davantage de la malice du public. C’est la fuite de la jeune baronne Amélie, qui s’est fait enlever par un bel aventurier peu de temps après la mort de son cousin.

— Et moi, madame, je l’ai ignoré assez longtemps. Je pourrais vous dire même que tout ne se découvre pas dans ce monde ; car jusqu’ici on n’a pas pu savoir le nom et l’état de l’homme qui a enlevé la jeune baronne, non plus que le lieu de sa retraite.

— C’est ce que Supperville m’a dit en effet. Allons, cette vieille Bohême est le pays aux aventures mystérieuses : mais ce n’est pas une raison pour que le comte Albert soit…

— Au nom du ciel, madame, ne parlons plus de cela. Je vous demande pardon de vous avoir fatiguée de cette longue histoire, et quand Votre Altesse m’ordonnera de me retirer…

— Deux heures du matin ! s’écria madame de Kleist, que le son lugubre de l’horloge du château fit tressaillir.

— En ce cas, il faut nous séparer, mes chères amies, dit la princesse en se levant ; car ma sœur d’Anspach va venir dès sept heures me réveiller pour m’entretenir des fredaines de son cher margrave, qui est revenu de Paris dernièrement, amoureux fou de mademoiselle Clairon. Ma belle Porporina, c’est vous autres reines de théâtre