Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128

pour cela. Votre Altesse en pensera ce qu’elle voudra ; mais, j’oserai le lui dire, cet homme est un chevalier d’industrie.

— Ce qui ne l’empêche pas d’être un grand sorcier, n’est-ce pas, de Kleist ? Comment concilies-tu tant de respect pour sa science et de mépris pour sa personne ?

— Eh ! madame, cela va ensemble on ne peut mieux. On craint les sorciers, mais on les déteste. C’est absolument comme on fait à l’égard du diable.

— Et cependant on veut voir le diable, et on ne peut pas se passer des sorciers ? Voilà ta logique, ma belle de Kleist !

— Mais, madame, dit Consuelo qui écoutait avec avidité cette discussion bizarre, d’où savez-vous que cet homme ressemble au comte de Rudolstadt ?

— J’oubliais de te le dire, et c’est un hasard bien simple qui me l’a fait savoir. Ce matin, quand Supperville me racontait ton histoire et celle du comte Albert, tout ce qu’il me disait sur ce personnage étrange me donna la curiosité de savoir s’il était beau, et si sa physionomie répondait à son imagination extraordinaire. Supperville rêva quelques instants, et finit par me répondre : « Tenez, madame, il me sera facile de vous en donner une juste idée ; car vous avez parmi vos joujoux un original qui ressemblerait effroyablement à ce pauvre Rudolstadt s’il était plus décharné, plus hâve, et coiffé autrement. C’est votre sorcier Trismégiste. » Voilà le fin mot de l’affaire, ma charmante veuve ; et ce mot n’est pas plus sorcier que Cagliostro, Trismégiste, Saint-Germain et compagnie.

— Vous m’ôtez une montagne de dessus la poitrine, dit la Porporina, et un voile noir de dessus la tête. Il me semble que je renais à la vie, que je m’éveille d’un pénible sommeil ! Grâces vous soient rendues pour cette