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« Tu diras ce que tu voudras ; il me semble que pour la première fois depuis quinze ans ou vingt ans peut-être, depuis que je suis en âge d’observer et de comprendre, le roi est amoureux.

— Votre Altesse royale en disait autant l’année dernière à propos de mademoiselle Barberini, et cependant Sa Majesté n’y avait jamais songé.

— Jamais songé ! Tu te trompes, mon enfant. Il y avait tellement songé, que lorsque le jeune chancelier Cocceï en a fait sa femme, mon frère a été travaillé, pendant trois jours, de la plus belle colère rentrée qu’il ait eue de sa vie.

— Votre Altesse sait bien que Sa Majesté ne peut pas souffrir les mésalliances.

— Oui, les mariages d’amour, cela s’appelle ainsi. Mésalliance ! ah ! le grand mot ! vide de sens, comme tous les mots qui gouvernent le monde et tyrannisent les individus. »

La princesse fit un grand soupir, et, passant rapidement, selon sa coutume, à une autre disposition d’esprit, elle dit, avec ironie et impatience, à sa grande gouvernante :

« Maupertuis, tu nous écoutes ! tu ne regardes pas les astres, comme je te l’ai ordonné. C’est bien la peine d’être la femme d’un si grand savant, pour écouter les balivernes de deux folles comme de Kleist et moi ! — Oui, je te dis, reprit-elle en s’adressant à sa favorite, que le roi a eu une velléité d’amour pour cette Barberini. Je sais, de bonne source, qu’il a été souvent prendre le thé, avec Jordan et Chazols, dans son appartement, après le spectacle ; et que même elle a été plus d’une fois des soupers de Sans-Souci, ce qui était, avant elle, sans exemple dans la vie de Potsdam. Veux-tu que je te dise davantage ? Elle y a demeuré, elle y a eu un appartement,