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écoutant, la haute protection du roi qui nous garantit des succès décrétés d’avance, l’absence de rivalité et de nouveauté dans le personnel des artistes et dans le choix des ouvrages, et surtout l’idée d’une captivité indéfinie ; toute cette vie bourgeoise, froidement laborieuse, tristement glorieuse et forcément cupide que nous menons en Prusse, m’a ôté l’espoir et jusqu’au désir de me perfectionner. Il y a des jours où je me sens tellement privée d’énergie et dépourvue de cet amour-propre chatouilleux qui aide à la conscience de l’artiste, que je paierais un sifflet pour me réveiller. Mais hélas ! que je manque mon entrée ou que je m’éteigne avant la fin de ma tâche, ce sont toujours les mêmes applaudissements. Ils ne me font aucun plaisir quand je ne les mérite pas ; ils me font de la peine quand, par hasard, je les mérite ; car ils sont alors tout officiellement comptés, tout aussi bien mesurés par l’étiquette qu’à l’ordinaire, et je sens pourtant que j’en mériterais de plus spontanés ! Tout cela doit vous sembler puéril, noble Amélie ; mais vous désiriez connaître le fond de l’âme d’une actrice, et je ne vous cache rien.

— Tu expliques cela si naturellement, que je le conçois comme si je l’éprouvais moi-même. Je suis capable, pour te rendre service, de te siffler lorsque je te verrai engourdie, sauf à te jeter une couronne de roses quand je t’aurai éveillée !

— Hélas ! bonne princesse, ni l’un ni l’autre n’aurait l’agrément du roi. Le roi ne veut pas qu’on offense ses comédiens, parce qu’il sait que l’engouement suit de près les huées. Mon ennui est donc sans remède, malgré votre généreuse intention. À cette langueur se joint tous les jours davantage le regret d’avoir préféré une existence si fausse et si vide d’émotions à une vie d’amour et de dévouement. Depuis l’aventure de Cagliostro sur-