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cher encore longtemps avec lui en zigzag dans un vide inconnu. Enfin, lorsqu’il m’ôta définitivement le capuchon, je me retrouvai dans son laboratoire éclairé faiblement, comme il l’était au commencement de cette aventure. Cagliostro était fort pâle, et tremblait encore ; car j’avais senti, en marchant avec lui, que son bras était agité d’un tressaillement convulsif, et qu’il me faisait aller très-vite, comme s’il eût été en proie à une grande frayeur. Les premières paroles qu’il me dit furent des reproches amers sur mon manque de loyauté, et sur les dangers épouvantables auxquels je l’avais exposé en cherchant à violer mes promesses. « J’aurais dû me rappeler, ajouta-t-il d’un ton dur et courroucé, que la parole d’honneur des femmes ne les engage pas, et que l’on doit bien se garder de céder à leur vaine et téméraire curiosité. »

Jusque-là, je n’avais pas songé à partager la terreur de mon guide. J’avais été si frappée de l’idée de retrouver Albert vivant, que je ne m’étais pas demandé si cela était humainement possible. J’avais même oublié que la mort m’eût à jamais enlevé cet ami si précieux et si cher. L’émotion du magicien me rappela enfin que tout cela tenait du prodige, et que je venais de voir un spectre. Cependant, ma raison repoussait l’impossible, et l’âcreté des reproches de Cagliostro fit passer en moi une irritation maladive, qui me sauva de la faiblesse : « Vous feignez de prendre au sérieux vos propres mensonges, lui dis-je avec vivacité ; mais vous jouez là un jeu bien cruel. Oh ! oui, vous jouez avec les choses les plus sacrées, avec la mort même. — Âme sans foi et sans force ! me répondit-il avec emportement, mais avec une expression imposante ; vous croyez à la mort comme le vulgaire, et cependant vous avez eu un grand maître, un maître qui vous a dit cent fois : « On ne meurt pas, rien ne meurt,