Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109

c’était sans doute mon devoir ; mais puisque je suis en train de me confesser, je dois dire qu’au moment de le faire, je me sentis saisie de terreur et comme paralysée par le froid de la méfiance. Il me sembla que le roi me cajolait et flattait mon amour-propre, pour m’empêcher de raconter cette scène de Roswald, qui pouvait produire, dans quelques esprits, une impression contraire à sa politique. Il me sembla aussi qu’il craignait le ridicule d’avoir été bon et reconnaissant envers moi. Et puis, tout à coup, en moins d’une seconde, je me rappelai le terrible régime militaire de la Prusse, dont le baron Trenck m’avait informée minutieusement ; la férocité des recruteurs, les malheurs de Karl, la captivité de ce noble Trenck, que j’attribuais à la délivrance du pauvre déserteur ; les cris d’un soldat que j’avais vu battre, le matin, en traversant un village ; et tout ce système despotique qui fait la force et la gloire du grand Frédéric. Je ne pouvais plus le haïr personnellement ; mais déjà je revoyais en lui ce maître absolu, cet ennemi naturel des cœurs simples qui ne comprennent pas la nécessité des lois inhumaines, et qui ne sauraient pénétrer les arcanes des empires.


IX.

« Depuis ce jour, continua la Porporina, je n’ai pas revu le roi chez moi ; mais il m’a demandée quelquefois à Sans-Souci, où j’ai même passé plusieurs jours de suite avec mes camarades Porporino ou Conciolini ; et ici, pour tenir le clavecin à ses petits concerts et accompagner le violon de M. Graun, ou celui de Benda, ou la flûte de M. Quantz, ou enfin le roi lui-même.

— Ce qui est beaucoup moins agréable que d’accom-