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Le succès des batailles n’est point une égide contre la balle d’un assassin, et je n’oublierai jamais que si le destin de la Prusse est encore entre mes mains, c’est à une bonne petite âme, ennemie des lâches complots que je le dois. Ainsi, ma chère Porporina, votre mauvaise humeur ne me rendra point ingrat. Calmez-vous, je vous prie, et racontez-moi bien ce dont vous avez à vous plaindre, car jusqu’ici je n’y comprends pas grand-chose. »

Soit que le roi feignît de ne rien savoir, soit qu’en effet les gens de sa police eussent cru voir quelque défaut de forme dans les papiers de mon maître, il écouta mon récit avec beaucoup d’attention, et me dit ensuite de l’air calme d’un juge qui ne veut pas se prononcer à la légère : « J’examinerai tout cela, et vous en rendrai bon compte ; je serais fort surpris que mes gens eussent cherché noise, sans motif, à un voyageur en règle. Il faut qu’il y ait quelque malentendu. Je le saurai ! soyez tranquille, et si quelqu’un a outre-passé son mandat, il sera puni. — Sire, ce n’est pas là ce que je demande. Je vous demande le rappel du Porpora. — Et je vous le promets, répondit-il. Maintenant, prenez un air moins sombre, et racontez-moi comment vous avez découvert le secret de mon incognito. »

Je causai alors librement avec le roi, et je le trouvai si bon, si aimable, si séduisant par la parole, que j’oubliai toutes les préventions que j’avais contre lui, pour n’admirer que son esprit à la fois judicieux et brillant, ses manières aisées dans la bienveillance que je n’avais pas trouvées chez Marie-Thérèse ; enfin, la délicatesse de ses sentiments sur toutes les matières auxquelles il toucha dans la conversation. « Écoutez, me dit-il en prenant son chapeau pour sortir. J’ai un conseil d’ami à vous donner dès votre arrivée ici ; c’est