Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105

plutôt désormais à le rejoindre qu’à l’attirer ; mais je crains fort de ne pas être plus libre de sortir d’ici que je n’ai été libre de n’y pas entrer.

— Que veux-tu dire ?

— À la frontière, lorsque je vis que l’on forçait mon maître à remonter en voiture et à retourner sur ses pas, je voulus l’accompagner et renoncer à mon engagement avec Berlin. J’étais tellement indignée de la brutalité et de l’apparente mauvaise foi d’une telle réception, que j’aurais payé le dédit en travaillant à la sueur de mon front, plutôt que de pénétrer plus avant dans un pays si despotiquement régi. Mais au premier témoignage que je donnai de mes intentions, je fus sommée par l’officier de police de monter dans une autre chaise de poste qui fut amenée et attelée en un clin d’œil ; et comme je me vis entourée de soldats bien déterminés à m’y contraindre, j’embrassai mon maître, en pleurant, et je pris le parti de me laisser conduire à Berlin, où j’arrivai, brisée de fatigue et de douleur, à minuit. On me déposa tout près du palais, non loin de l’opéra, dans une jolie maison appartenant au roi, et disposée de manière à ce que j’y fusse logée absolument seule. J’y trouvai des domestiques à mes ordres et un souper tout préparé. J’ai su que M. de Pœlnitz avait reçu l’ordre de tout disposer pour mon arrivée. J’y étais à peine installée, lorsqu’on me fit demander de la part du baron de Kreutz si j’étais visible. Je m’empressai de le recevoir, impatiente que j’étais de me plaindre à lui de l’accueil fait au Porpora, et de lui en demander la réparation. Je feignis donc de ne pas savoir que le baron de Kreutz était Frédéric II. Je pouvais l’ignorer. Le déserteur Karl, en me confiant son projet de l’assassiner, comme officier supérieur prussien, ne me l’avait pas nommé, et je ne l’avais appris que de la bouche du