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témoigné de l’amitié et une reconnaissance trop grande pour la conduite si simple que j’ai tenue à Roswald. Mais de là à l’amour, il y a un abîme, et j’espère bien que sa pensée ne l’a pas franchi.

— Moi, je crois le contraire. Il est brusque, taquin et familier avec toi ; il te parle comme à un petit garçon, il te passe la main sur la tête comme à ses lévriers ; il affecte devant ses amis, depuis quelques jours, d’être moins amoureux de toi que de qui que ce soit. Tout cela prouve qu’il est en train de le devenir. Je le connais bien, moi ; je te réponds qu’avant peu il faudra te prononcer. Quel parti prendras-tu ? Si tu lui résistes, tu es perdue ; si tu lui cèdes, tu l’es encore plus. Que feras-tu, le cas échéant ?

— Ni l’un ni l’autre, madame ; je ferai comme ses recrues, je déserterai.

— Cela n’est pas facile, et je n’en ai guère envie, car je m’attache à toi singulièrement, et je crois que je mettrais les recruteurs encore une fois à tes trousses plutôt que de te voir partir. Allons, nous chercherons un moyen. Le cas est grave et demande réflexion. Raconte-moi tout ce qui s’est passé depuis la mort du comte Albert.

— Quelques faits bizarres et inexplicables au milieu d’une vie monotone et sombre. Je vous les dirai tels qu’ils sont, et Votre Altesse m’aidera peut-être à les comprendre.

— J’essaierai, à condition que tu m’appelleras Amélie, comme tout à l’heure. Il n’est pas minuit, et je ne veux être Altesse que demain au grand jour. »

La Porporina reprit son récit en ces termes :

« J’ai déjà raconté à madame de Kleist, lorsqu’elle m’a fait l’honneur de venir chez moi pour la première fois, que j’avais été séparée du Porpora en arrivant de