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son long sur les planches. Porporino s’empressa de la relever, il fallut l’emporter dans la coulisse, et un bourdonnement de questions, de réflexions et de commentaires s’éleva dans la salle. Pendant cette agitation le roi apostropha le ténor resté en scène, et, à la faveur du bruit qui couvrait sa voix :

« Eh bien, qu’est-ce que c’est ? dit-il de son ton bref et impérieux ; qu’est-ce que cela veut dire ? Conciolini, allez donc voir, dépêchez-vous ! »

Conciolini revint au bout de quelques secondes, et se penchant respectueusement au-dessus de la rampe près de laquelle le roi se tenait accoudé et toujours debout :

« Sire, dit-il, la signora Porporina est comme morte. On craint qu’elle ne puisse pas achever l’opéra.

— Allons donc ! dit le roi en haussant les épaules ; qu’on lui donne un verre d’eau, qu’on lui fasse respirer quelque chose, et que cela finisse le plus tôt possible. »

Le sopraniste, qui n’avait nulle envie d’impatienter le roi et d’essuyer en public une bordée de mauvaise humeur, rentra dans la coulisse en courant comme un rat, et le roi se mit à causer avec vivacité avec le chef d’orchestre et les musiciens, tandis que la partie du public qui s’intéressait beaucoup plus à l’humeur du roi qu’à la pauvre Porporina, faisait des efforts inouïs, mais inutiles, pour entendre les paroles du monarque.

Le baron de Pœlnitz, grand chambellan du roi et directeur des spectacles, vint bientôt rendre compte à Frédéric de la situation. Chez Frédéric, rien ne se passait avec cette solennité qu’impose un public indépendant et puissant… Le roi était partout chez lui, le spectacle était à lui et pour lui. Personne ne s’étonna de le voir devenir le principal acteur de cet intermède imprévu.

« Eh bien ! voyons, baron ! disait-il assez haut pour être entendu d’une partie de l’orchestre, cela finira-t-il