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la ville noire.

avec horreur, elle avait compris les illusions et le désespoir de la pauvre Suzanne. À quinze ans, après un an d’absence de l’atelier, elle y reparut aussi pauvre qu’elle y était entrée, aussi peu vaine et aussi courageuse.

Beaucoup d’autres à sa place y eussent été raillées ou dénigrées pour cette aventure de famille qui avait fait bien des jalouses dans le commencement ; mais si Suzanne avait pris de grands airs avec ses anciennes compagnes, il était impossible de rien reprocher de semblable à Tonine. Elle avait vécu à contre-cœur dans la richesse, elle n’y avait connu que le chagrin, l’indignation, la pitié.

Tonine n’était pas aussi belle que sa sœur. Elle était grandelette, mince et pâle. Mais sa figure était d’une douceur sérieuse qui la faisait remarquer entre toutes les artisanes de son âge. Sa voix était douce comme ses yeux, et quelques-unes disaient qu’elle plairait un jour plus que Suzanne.

On remarquait aussi en elle une élégance de manières que l’on ne pouvait point attribuer à sa courte phase de richesse, car Molino était fort mal élevé