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la petite fadette

la rivière avec des yeux tout gros de larmes, comme s’il voulait lui demander compte de ce qu’elle avait fait de son frère.

Et, pendant ce temps-là, la rivière coulait bien tranquillement, frétillant sur les branches qui pendaient et trempaient le long des rives, et s’en allant dans les terres, avec un petit bruit, comme quelqu’un qui rit et se moque à la sourdine.

Le pauvre Landry se laissa gagner et surmonter par son idée de malheur, si fort qu’il en perdait l’esprit, et que, d’une petite apparence qui pouvait bien ne rien présager, il se faisait une affaire à désespérer du bon Dieu.

« Cette méchante rivière qui ne me dit mot, pensait-il, et qui me laisserait bien pleurer un an sans me rendre mon frère, est justement là au plus creux, et il y est tombé tant de cosses d’arbres depuis le temps qu’elle ruine le pré, que si on y entrait on ne pourrait jamais s’en retirer. Mon Dieu ! faut-il que mon pauvre besson soit peut-être là, tout au fond de l’eau, couché à deux pas de moi, sans que je puisse le voir ni le retrouver dans les branches et dans