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la petite fadette

dans la rivière, on pouvait toujours bien dire qu’il s’était noyé dans son chagrin et dans son dépit, au point de rester là comme une souche, les yeux fixés sur le courant de l’eau, la figure aussi pâle qu’une fleur de nape[1], la bouche à demi ouverte comme un petit poisson qui bâille au soleil, les cheveux tout emmêlés par le vent, et ne faisant pas même attention à son petit agneau, qu’il avait rencontré égaré dans les prés, et dont il avait eu pitié. Il l’avait bien pris dans sa blouse pour le rapporter à son logis ; mais, chemin faisant, il avait oublié de demander à qui l’agneau perdu. Il l’avait là sur ses genoux, et le laissait crier sans l’entendre, malgré que le pauvre petit lui faisait une voix désolée et regardait tout autour de lui avec de gros yeux clairs, étonné de ne pas être écouté de quelqu’un de son espèce, et ne reconnaissant ni son pré, ni sa mère, ni son étable, dans cet endroit tout ombragé et tout herbu, devant un gros courant d’eau qui, peut-être bien, lui faisait grand’peur.

  1. Napée, Nymphæa, Nénufar.