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calme l’inquiétude des riches en leur faisant payer beaucoup de gendarmes et de geôliers, de baïonnettes et de prisons.

Albert Dürer, Michel-Ange, Holbein, Callot, Goya, ont fait de puissantes satires des maux de leur siècle et de leur pays. Ce sont des œuvres immortelles, des pages historiques d’une valeur incontestable ; nous ne voulons pas dénier aux artistes le droit de sonder les plaies de la société et de les mettre à nu sous nos yeux ; mais n’y a-t-il pas autre chose à faire maintenant que la peinture d’épouvante et de menace ? Dans cette littérature de mystères d’iniquité, que le talent et l’imagination ont mise à la mode, nous aimons mieux les figures douces et suaves que les scélérats à effet dramatique. Celles-là peuvent entreprendre et amener des conversions, les autres font peur, et la peur ne guérit pas l’égoïsme, elle l’augmente.

Nous croyons que la mission de l’art est une mission de sentiment et d’amour, que le roman d’aujourd’hui devrait remplacer la parabole et l’apologue des temps naïfs, et que l’artiste a une tâche plus large et plus poétique que celle de proposer quelques mesures de prudence et de conciliation pour atténuer l’effroi qu’inspirent ses peintures. Son but devrait être de faire aimer les objets de sa sollicitude et, au besoin, je ne lui ferais pas un reproche de les embellir un peu. L’art n’est pas une étude de la réalité positive, c’est une recherche de la vérité idéale, et le Vicaire de Wakefield fut un livre plus utile et plus sain à l’âme que le Paysan perverti et les Liaisons dangereuses.

Lecteur, pardonnez-moi ces réflexions, et veuillez les