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se rencontrent pas dans la musique officielle ; mais elles sont dans la nature, et, comme la nature ne peut pas ne pas avoir raison, c’est la musique officielle, la musique légale, si vous voulez, qui a tort.

— Bravo ! s’écria Schwartz.

Et ils causèrent avec passion une partie de la nuit. Stéphen s’était plusieurs fois privé de dîner pour avoir de quoi payer la dernière des places aux Italiens les jours où l’opéra était selon son cœur. Il avait un grand instinct du beau, du grand et du vrai dans tous les arts.

La conversation de Schwartz, entremêlée de l’exécution de divers courts chefs-d’œuvre, l’intéressa tellement que, dès le lendemain, il abandonna momentanément toutes ses autres études pour se livrer à la lecture de la musique. En peu de jours, ses doigts, qui s’étaient déjà exercés, avec beaucoup d’adresse naturelle et de moelleux instinctif, à exprimer sur l’instrument ses souvenirs d’enfance et ses rêveries auditives, surent rendre la pensée d’autrui. Ses bons yeux prompts, soutenus par une attention surhumaine, parvinrent à lire sans efforts les partitions et les manuscrits largement griffonnés que Schwartz mit à sa disposition. Au bout de trois mois, Stéphen lisait à livre ouvert et il avait lu presque tout ce qu’il y a de beau et de bon à lire dans ce qui a été recueilli des œuvres des maîtres. Il était devenu bon musicien ; il improvisait avec plus de liberté morale, avec un sentiment plus étendu qui n’avait pas cessé d’être naïf et individuel.

Schwartz, qu’il avait écouté d’abord avec enthousiasme, l’écoutait à son tour avec adoration. Roque n’osait plus disserter devant eux, si ce n’est sur l’inutilité relative de l’art. Stéphen avait appris incidemment la musique ; il s’était créé une nouvelle source de jouissances, et tous les soirs, en revenant de la rue de Courcelles, il se racontait son propre bonheur dans cette langue de l’imagination et du sentiment