Page:Sand - La Filleule.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

greffer des roses. Elles s’y prenaient fort adroitement, et je m’offris à les aider. J’avais si souvent pratiqué la greffe d’arrière-saison à œil dormant, qu’elles m’accordèrent toute confiance dès le premier coup d’œil jeté sur ma besogne.

Rien n’est si agréable que cette manière de faire connaissance en prenant part en commun à quelque occupation champêtre ou domestique. La journée se passa pour moi comme un instant, grâce à l’activité et à la simplicité d’habitudes de ces deux femmes, et à la bienveillance délicate qu’elles mirent à m’associer à leurs délassements. Aussitôt après le déjeuner, Julien prit son fusil ; Hubert Clet prit un livre, et je restai seul avec les dames. Je voulus parler de Morena.

— Pas encore, nous avons le temps ! dirent-elles.

C’était une manière tout affectueuse de me retenir, et il ne fut question de l’orpheline que le soir, après dîner.

Je me laissai faire. Pourquoi n’aurais-je pas accepté l’intimité offerte avec tant de confiance ? Je les suivis dans le parc, où elles cueillirent des ceps pour le dîner ; sous les treilles, où elles mirent les plus belles grappes de raisin dans des sacs ; à la cueillette des poires, où elles trièrent les espèces qui devaient être mangées à différentes époques ; dans le fruitier, où elles placèrent les plus beaux échantillons sur les rayons, après les avoir essuyés avec soin un à un, pour les préserver de la moisissure. C’était ainsi que je passais autrefois le temps de mes vacances, aidant ma mère dans tous ces soins que la femme intelligente et laborieuse sait rendre aussi poétiques qu’utiles. En vérité, par moments, j’oubliai mes années de douleur : je me crus auprès d’elle, aidé par une charmante sœur qui embellissait mon rêve et ne le dérangeait pas. Par moments, je faillis appeler madame Marange maman et dire chez nous en parlant de la maison.

Je vis arriver avec tristesse le moment de les quitter. Qui m’eût dit, le matin, que je passerais un jour entier sans dési-