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jours de l’été. La lune projetait sur le chemin blanc et moelleux les ombres allongées des arbres. Un air frais et suave, que doublait la rapidité tranquille de notre course, faisait entrer jusque dans l’âme un bien-être délicieux.

Anicée, qui était au fond de la voiture auprès de madame Marange, glissa comme à genoux sur le coussin où reposaient les pieds de sa mère, et, ainsi courbée devant elle, — on eût presque dit devant moi aussi, — elle dit avec une émotion vive, mais assurée dans son expression :

— Ma mère, j’aime Stéphen de toutes les puissances de mon âme, vous le savez bien. Stéphen, j’aime ma mère plus que moi-même, vous n’en doutez pas. Décidez ensemble de ma vie. De quelque façon que je vous appartienne à tous deux, comme fille, épouse ou sœur, je serai heureuse. Mais, si je dois me séparer de vous, ma mère sait bien que je ne m’en consolerai jamais.

— Ne nous séparons jamais ! m’écriai-je. Sachez, Anicée, que mon âme et la vôtre ne comptent que pour une devant votre mère, comme elle le disait tout à l’heure en parlant d’elle et de vous, et ne croyez pas qu’il me fût plus facile de me séparer d’elle que cela ne l’est pour vous-même. Est-ce qu’elle n’est pas ma mère par le choix de mon cœur ? est-ce qu’elle ne ressemble pas d’âme et de visage à celle que j’ai perdue ? est-ce qu’elle ne s’appelle pas Julie ? est-ce que, avant de vous regarder pour la première fois, je ne l’avais pas vue, elle, comme une apparition de mon bonheur passé, comme une vision de mon bonheur futur ? Voilà ce que je désire, moi : nous ne nous séparerons pas, parce que nous ne le pouvons pas. Quel serment ferions-nous qui ne fût puéril à nos propres yeux ?

— Eh bien, oui, mes enfants, je le sais, je vous crois, dit madame Marange en m’embrassant au front et en serrant sa fille contre son cœur, et je suis comme vous deux. Voilà donc un trio inséparable ; mais comment faire accepter cette union