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adroits, agiles et doués de ces grâces comiques, si rares chez nous, où le grotesque est presque toujours laid. La scène des derniers préparatifs fut un ballet général de toute la force des jambes, accompagné de chœurs de toute la force des poumons.

Felipone riait à se tenir les flancs, tandis que le docteur embrassait la Vincenza plus qu’il n’était besoin pour prendre congé. Le prince chantait la messe en se faisant mettre son paletot et ses grandes bottes par Giuseppe, qui l’habillait en mesure et en sautant d’un pied sur l’autre. Le docteur soufflait dans une tige de roseau en imitant la flûte et en s’arrosant fréquemment le gosier d’un reste de liqueur. La signora, elle-même, comme prise de vertige, frappait le piano d’une mazourque échevelée. Tartaglia, voyant qu’on le laissait là, se lamentait avec de grands gestes qui lui donnaient l’air d’un capucin en chaire ; mais sa voix, étouffée par le bruit général, réduisait son éloquence à l’effet d’une pantomime pathétique.

Je n’étais pas bien persuadé de l’utilité de cette bacchanale. Je savais que la fumée des cuisines donnait aux carabiniers l’envie de fuir et de se disperser, plutôt que l’idée de se resserrer autour du château. C’était une imprudence gratuite que de leur apprendre l’existence d’un refuge réputé, jusqu’à ce moment, inaccessible ; mais il n’y avait pas moyen de se faire entendre, et je pris mon parti de chanter comme les autres l’heure du départ. J’étais électrisé par cette gaieté, à l’approche d’un combat regardé comme inévitable.

Enfin, le silence se fit. Tout était prêt.

— Maintenant, dit le docteur, pas un mot, et en route.

Je pus m’approcher de Tartaglia et lui dire de compter sur mon prompt retour. Nous descendîmes l’escalier, et le prince, ayant mis son héroïne en selle, fit la revue de sa