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— Quoi ! m’écriai-je, quand la fumée de votre festin les enveloppe, vous croyez qu’ils ignorent où vous êtes ?

— Ils ne l’ignorent pas, dit le prince. Nous n’avons pas la prétention d’être ici sans qu’on le sache ; mais il est temps que vous sachiez vous-même dans quelle situation nous sommes. Voici le docteur qui a fait partie autrefois de la guérilla des frères Muratori, lorsque eux et lui étaient encore enfants. Pour ce fait, il fut condamné à mort, et je ne sache pas que la sentence soit révoquée ; mais sa mère est à Frascati ; il ne l’a pas vue depuis quinze ans. Il a su que je venais à Rome, il a voulu m’accompagner. Quant à moi, qui suis de la terre d’Otranto et, par conséquent, sujet du roi de Naples ; j’ai été compromis dans les derniers événements de mon pays, pour avoir parlé un peu librement de mon aimable monarque et bâtonné un de ses insolents lazzaroni. Menacé de la prison et d’un procès criminel, je vins me réfugier à Rome, où j’ai un frère cardinal, mais où j’eus l’imprudence de déblatérer un peu contre un autre prince de l’Église, qui m’avait volé une amante, et de donner des coups de pied dans le dos d’un mouchard qui m’ennuyait. Après quoi, je fus forcé d’aller m’établir à Florence ; mais, là, j’eus le malheur de me plaindre de la garnison allemande et de me battre avec un officier que je tuai en duel. Je m’en allai en Piémont, où je fus plus sage et plus tranquille ; mais, ayant appris que mon frère le cardinal était grièvement malade, je revins secrètement à Rome pour veiller à mes intérêts dans la succession. Je trouvai mon frère guéri et peu sensible au plaisir très-réel que j’en ressentais. Il me pria de m’en aller, pour ne pas le compromettre, et, comme, retenu par une petite affaire de cœur qui m’était survenue, j’hésitais à suivre son conseil, il laissa dénoncer ma présence chez lui, non dans l’intention de me livrer, mais avec celle de me forcer de déguerpir ; car il me prévint à temps