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Pendant que l’on sert le repas, je veux vous décrire ce fabuleux prince dont je sais maintenant le nom, mais que, par prudence, je vous désignerai ici sous un nom de fantaisie, Monte-Corona, par exemple. C’est le premier qui tombe sous ma plume.

Ce personnage est âgé d’une cinquantaine d’années. Il appartient à un type plutôt napolitain que romain. Il parle français, sinon avec une correction parfaite, du moins avec une facilité complète et toutes les nuances de l’actualité familière.

Il a pu être beau, mais de cette beauté italienne exagérée qui devient laideur avec les années. Il est beaucoup trop petit pour son nez, qui s’avance droit et sans courbure au devant de sa face, comme une lame d’épée. Sa peau, mate et fine, tourne au livide ; ses dents sont éblouissantes, indice d’une disposition à la phtisie pulmonaire, ainsi que ses épaules étroites et sa poitrine rentrée. Une masse de cheveux, trop noirs et trop bouclés pour n’être pas un effet de l’art, tombe sur ses joues creuses et se mêle au noir de sa barbe trop bien plantée, en ce sens qu’elle fait tache d’encre et masse disproportionnée avec les plans blêmes et malingres de sa figure. Vous avez vu cette tête-là partout : un vieux Antinoüs malade croisé de Polichinelle dégénéré.

L’œil superbe quand même, la physionomie douce et agréable en dépit de cette chevelure de brigand calabrais, une grande distinction de manières et de très-petits pieds ridiculement bien chaussés : voilà le souvenir qu’il m’a laissé.

Quand le valet de chambre eut annoncé que le dîner était servi, bien que, cela se passant sous nos yeux, cette formalité fût fort inutile, le prince se leva, étira ses bras et ses jambes comme un lévrier, bâilla trois ou quatre fois en