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m’aboucher avec eux, ce que la surveillance de leurs chefs rend jusqu’ici tout à fait impossible.

Je ne m’ennuie ni ne me décourage. Sans le chagrin que j’éprouve en songeant aux anxiétés de ma Daniella, et le serrement de cœur qui me saisit au souvenir de ma trop courte félicité, je prendrais gaîment l’étrange existence qui m’est faite. Tartaglia m’amuse malgré moi, et le capucin paraît s’accoutumer sans effort à son rôle de Carcioffo. Il dort à genoux devant la madone du portique, son chapelet enlacé aux doigts, tout le temps que nous passons à travailler. La prévoyance n’est pas le fléau de son imagination, et, tant qu’il aura quelque chose à mettre sous la dent, il conservera son sourire de crétinisme béat.

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J’en étais là, vous écrivant ces choses, pendant que Tartaglia mettait mon couvert, quand une circonstance inouïe ne fit courir sur la petite terrasse du casino.

Mossiou ! mossiou ! disait Tartaglia criant à voix basse, comme on s’habitue à le faire dans notre situation : voyez, voyez ! Pouvez-vous expliquer pareille chose ? Est-que je rêve ? Est-que vous la voyez aussi ? Regardez donc le haut des grandes clarinettes du terrazzone !

Je levai la tête et vis les mascarons grotesques de ces grands tuyaux de cheminée se détacher en noir sur un fond rougeâtre, en même temps que, de leurs vastes bouches, sortaient des tourbillons de fumée.

— Tout est perdu, mon pauvre Tartaglia, m’écriai-je. Les carabiniers ont trouvé l’entrée de cette fameuse cuisine : ils y sont installés, ils s’y réchauffent et y ont établi leur cantine.

— Non, non, mossiou. Voyez ! ils sont aussi étonnés que nous ! Ils regardent et s’interrogent ; ils cherchent de tous