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il me prend pour l’ombre d’un ancien pape, car il sollicite mes éloges avec une ardeur naïve, et je suis forcé de l’en accabler et de paraître très-sensible à ses soins, sous peine de le voir s’affecter et se démoraliser.

Il semble aussi que, de son côté, il soutienne son personnage facétieux et comique dans l’intention de me conserver en belle humeur ; mais c’est peut-être tout simplement le résultat d’une habitude invétérée de poserie burlesque. Ainsi, ce matin, je l’ai trouvé dans le parterre avec le capucin, qu’il avait affublé d’un torchon en guise de tablier de cuisine, et qu’il employait à la recherche des asperges sauvages. Il lui avait donné un nom. Ce n’était plus frère Cyprien ; c’était Carcioffo (artichaut).

— Il n’y a plus de moine ici, disait-il. Il n’y a plus qu’un marmiton, un éplucheur de légumes, un plumeur de volaille, sous les ordres du chef Tartaglia ; et, si Carcioffo ne travaille pas, Carcioffo ne mangera pas.

— Tu n’oublies qu’une chose, lui dis-je, c’est que nous n’avons ni légumes ni volaille.

— Pardon, Excellence, voilà des asperges, petites, mais succulentes ; et, quant à la volaille…, regardez !

Il me montrait une poule morte dans son panier.

— Tu es donc sorti ?

— Hélas ! non. J’ai essayé, et comme hier, au moment où j’appelais par le guichet, on a répondu par ce mot stupide et brutal : En joue ! Moi, j’ai répondu : Feu ! en fermant le guichet, et je les ai entendus rire.

— Rire ? c’est bon signe pour toi. Ils s’adouciront peut-être en ta faveur.

— Non, mossiou. L’Italien, ça rit toujours, mais ça ne se radoucit point pour ça !

— Mais cette poule, d’où vient-elle ?