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d’une solitude absolue et grandiose, étaient toujours une fête pour Valreg et Daniella. On y parlait du petit enfant comme s’il était déjà né, et en attendant on aimait Gianino, on le tenait propre et on lui apprenait à lire.

Felipone n’avait pas laissé percer la moindre agitation. Il s’occupait de ses affaires, tenait mieux que jamais sa ferme et sa laiterie, caressait ses neveux, vantait Gianino comme un prodige, ne s’occupait d’aucune femme et riait toujours des maris trompés et de lui-même.

« Seulement, nous nous apercevons, écrivait Valreg, qu’il maigrit et que ses yeux se plombent. Il boit beaucoup et commence à divaguer après souper. Il ne lui échappe jamais un mot compromettant ; mais son sourire éternel devient l’étrange expression d’une souffrance chronique. Je le crois atteint d’une maladie de foie, et il fait tout ce qu’il faut pour qu’elle ne soit pas longue. Il va souvent causer avec le berger de Tusculum, qui cherche à le guérir de son athéisme, mais qui n’y parvient pas encore. Pourtant, le fait de cette intimité entre deux hommes de caractères et d’opinions si opposés s’explique peut-être, chez Felipone, par un vague besoin de croire. Il semble parfois qu’il défende avec acharnement son impiété pour se faire battre. Malheureusement, le berger a, malgré son grand bon sens, trop de superstitions locales pour être un apôtre bien efficace. Onofrio croit aux sorciers. Un autre berger, son voisin de paillis, est gettatore, jeteur de sorts, et lui fait mourir ses moutons. Il le ménage dans la crainte qu’il ne lui donne une maladie dont il a fait mourir une vieille femme de Marino, et qui consistait à vomir des cheveux, « toujours et toujours des cheveux qui lui pesaient affreusement sur l’estomac, et qui auraient pu couvrir le monte Cavo, tant ils étaient longs, épais, inépuisables. » Vous voyez que le sage Onofrio, un érudit, un philosophe, un saint quant à l’austérité, un