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travaille pour le pain du lendemain, il court après le fagot de la veillée, la femme lave et raccommode sans cesse les pauvres vêtements de la famille. Ici, il n’y a point de mauvaises années ; on recueille et on entasse, jusque sur son oreiller, des denrées variées ; on engraisse des animaux domestiques jusque sous son lit ; on paye des journaliers pour cultiver la terre, et on ne raccommode pas les hardes ; on ne travaille pas, on se laisse dévorer par la vermine ; on se vautre au soleil et on tend la main aux passants : voilà l’existence des localités fertiles et saines. D’où vient ?

Vous répondrez ; moi, je reprends mon récit. Nous sortîmes de la ville, non sans peine, par une ruelle étroite, rapide et glissante d’eau de fumier, où passait une caravane de mulets chargés de genêts qui ne laissaient pas de place aux passants, et qui ne pouvaient s’arrêter à la descente. Nous avions hâte de fuir ce taudis navrant d’où, cependant, par la fenêtre de toute baraque immonde, l’œil plonge sur des abîmes de verdure splendide, sur les brillants petits lacs, sur les ravins délicieux et sur les immenses horizons de montagnes d’opale. Nous marchâmes tout au plus dix minutes, et nous atteignîmes la source del buco.

C’est une fontaine abondante qui s’épanche dans de grandes auges de pierre blanche, lavoir pittoresque dans les rochers, sur des cimes sauvages. Les eaux s’échappent en nombreux filets qui bouillonnent sur un sol de roche ondulée, et vont, à quelques pas de là, se réunir et s’engouffrer dans le buco.

Nous étions sur les plateaux qui forment d’immenses terrasses entre les monts Albains et les monts Tusculans, non loin du prétendu camp d’Annibal. Sous nos pieds, dans la fêlure gigantesque du mur de roches que nous tâchions en vain de côtoyer, tombait la cascade et se dressaient les créneaux brisés de la petite tour où j’ai passé des heures si