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méditation de gourmandise, il y revenait, poussé par l’instinct, comme un chien qui flaire une cuisine. Or, je ne connais pas d’être plus ennuyeux que ce bonhomme avec ses trois ou quatre phrases banales, ses redites stupides et son sourire hébété.

— Bourre-lui sa besace, dis-je à Tartaglia, en français, et trouve moyen de m’en délivrer tout de suite.

— Ça n’est pas difficile, répondit le Frontin de Mondragone ; et même sans nous dégarnir de nos vivres, dont nous avons plus besoin que lui. — Mon cher frère, dit-il au capucin, il ne faut pas rester ici. J’ai appris qu’on allait poser des sentinelles à sept heures, c’est-à-dire dans dix minutes.

— Des sentinelles ! dit le moine effaré.

— Oui, pour nous prendre par famine, et, si vous ne voulez pas partager notre sort…

— Tais-toi donc, lui dis-je à l’oreille, il va effrayer Daniella en lui portant cette fausse nouvelle.

Mais le capucin était déjà en fuite, et il nous fallut courir après lui pour lui ouvrir la porte du parterre. Alors seulement Tartaglia se disposa à le détromper, mais il n’en eut pas le temps. Au reflet de la lune qui argentait la base des murailles, nous vîmes briller deux baïonnettes qui se croisèrent devant le capucin, et une voix forte prononça en italien :

— On ne passe pas.

La facétie de Tartaglia se trouvait être une réalité. Nous étions bloqués à Mondragone.

Fra Cyprien recula avec tant d’effroi et de précipitation qu’il alla tomber dans les bras de la bacchante couchée parmi les orties.

— Diantre ! me dit Tartaglia en refermant la porte avec plus de présence d’esprit, mais non avec moins de frayeur ; les carabiniers ! voilà du nouveau ! Mais, ajouta-t-il après un un moment de réflexion, ceci ne me regarde pas ; c’est impossible ou bien ce n’est que provisoire. Restons tranquilles jusqu’à demain.