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— Elle disait cette sottise on cette folie ?

— Oui, par moments, car tous les soirs, à Rome, quand tu étais dans la maison, elle avait des crises de nerfs et des accès de dépit, où elle disait ce qu’elle avait dans la tête ; mais quand elle s’apercevait du plaisir que me causait son chagrin, elle disait autrement. Elle prétendait que, dès le premier jour où tu l’as vu sur le bateau à vapeur, lu l’avais regardée avec extase ; qu’elle ne pouvait pas faire un mouvement ni lever les yeux sans rencontrer les tiens. Elle était persuadée qu’en courant au-devant de la diligence sur la via Aurélia, tu n’avais pas eu d’autre idée que de savoir si elle allait droit à Rome, ou si elle s’arrêtait aux environs dans quelque villa ; et enfin, que tu ne te serais pas jeté si bravement sur les brigands quand tu pouvais te tenir caché, sans un grand désir de te faire distinguer par elle. Que veux-tu ? toutes ces vanteries me brisaient le cœur, à moi qui t’aimais déjà ! Je ne t’ai jamais dit ce que cette fille injuste et despote m’a fait souffrir à cause de toi ; quel, dédain elle affectait pour ma pauvre condition et pour ma pauvre figure, et comme elle aimait à répéter devant moi qu’avec sa beauté, son esprit et sa fortune, elle ne devait jamais trouver de cœur qui lui fût réellement fermé. « Il n’osera jamais me déclarer qu’il m’aime, disait-elle pendant ta maladie ; il se croit trop au-dessous de moi ; mais je lui tiens compte de cette fierté modeste, et moins il parle, mieux je le comprends. »

— S’il est vrai qu’elle t’ait dit tout cela, elle manque de clairvoyance et de jugement.

— Elle manque tout à fait d’esprit, comme elle manque de cœur. Je la connais bien, moi ! Une femme de chambre connaît mieux sa maîtresse que tous les hommes qui lui font la cour. De même qu’elle sait tous les défauts et tous les artifices de sa personne, elle sait toutes les pauvretés de son