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me faisait peur et me remplissait d’admiration. Rien ne pouvait la calmer, car rien ne pouvait la convaincre. En proie à une idée fixe qui semblait paralyser toute faculté de raisonnement, elle trouvait une éloquence effrénée pour se plaindre, pour m’accuser, pour maudire et outrager sa rivale ; elle avait comme des trésors de haine, amassés depuis longtemps au fond du cœur et retenue au bord des lèvres. Elle rugissait comme une lionne blessée ; elle avait des hallucinations de vengeance atroce ; elle était folle.

Je la regardais avec stupeur en me disant que toute cette rage et toute cette souffrance venaient de la chute d’une épingle ; une minute plus tard, notre bonheur n’eût pas été troublé. Pour une minute, pour une épingle, il l’était peut-être sans retour.

Je me défendis longtemps de la contagion de ce délire. Enfin, ne pouvant l’apaiser, je sentis qu’il me gagnait, que je ne trouvais plus de paroles pour me justifier, que mes nerfs se crispaient aussi, et que l’impassible bruissement de la cascade m’entraînait comme un vertige. L’amour de Daniella changé en mépris, son âme profanée par le soupçon, ses lèvres souillées par le blasphème, c’était pour moi comme un rêve affreux. Je ne pouvais pas supporter l’idée de survivre à un bonheur trop grand sans doute pour durer sur la terre où nous sommes. Je sentis le froid du désespoir paralyser mes facultés, et je devins comme hébété devant ses reproches.

Lorsqu’elle vit enfin ce qui se passait en moi, elle se jeta dans mes bras. Ce fut à mon tour de ne pas comprendre ce qu’elle me disait : mon âme avait descendu trop avant dans l’abîme, j’avais la gorge serrée comme par une main de fer et de glace. Je restai condamné à un farouche silence qui lui fit croire que j’étais irrité contre elle.

Pauvre chère âme ! elle me demandait pardon, elle se