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certaine de ne trouver en cette saison aucun être civilisé qui me connaisse, et où la solitude ne conseillera ma conduite à venir.




XLIV


Après avoir raconté son escapade avec cette sorte de candeur propre aux êtres qui n’ont pas beaucoup de religion morale, la belle Medora remit tranquillement son chapeau et, voulant l’assujettir dans ses cheveux pour reprendre son voyage, elle m’ordonna de chercher dans la mousse une grande épingle d’acier qu’elle y avait laissée tomber en se décoiffant brusquement.

Son aventure, quoique gaiement racontée, m’avait paru longue, dans la situation précaire où je me trouvais. Ce n’est pas quand il faut avoir l’œil et l’oreille aux aguets, se rendre compte du moindre bruit et du moindre mouvement autour de soi, que l’on se sent bien disposé à prendre la vie par le côté léger et facile, comme cette Anglaise capricieuse semblait résolue à le faire. La circonstance de l’épingle qu’elle me faisait chercher me parut un raffinement de bravade égoïste, d’autant plus qu’elle se mit à rire tout haut, je ne sais de quoi ; peut-être de l’idée qu’il serait fort plaisant pour moi, après avoir surmonté des dangers sérieux, d’être surpris par mes ennemis, pour m’être obstiné, hors de saison, à chercher une épingle.

L’amour-propre dont, quoi qu’on fasse, on ne se débarrasse jamais entièrement quand on se sent ou quand on se croit mis au défi par une jolie femme, m’empêcha de laisser voir mon impatience, et j’arrivai à retrouver la perfide épingle sans me départir du plus convenable sang-froid.