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— C’est prendre beaucoup de peine pour repousser un sentiment de reconnaissance bien pur et bien calme de ma part, reprit-elle en se levant avec une agitation qui démentait ses paroles. J’avais cru, en vous voyant enrôlé tout gratuitement dans mon escorte, pouvoir attribuer ce dévouement à une amitié chevaleresque. Il me semblait que vous me deviez cette amitié-là, à moi qui vous ai si courageusement offert mon amour, et qui, malgré l’outrage que vous m’avez fait de le dédaigner, vous ai gardé un attachement, une estime sincères.

— Si ce sont là vos sentiments pour moi, c’est moi, en effet qui vous dois de la reconnaissance, mais je n’ai pas eu l’occasion de vous la montrer. Voilà tout ce que je voulais dire. Et, à présent, voulez-vous me permettre de vous demander où sont vos amis, et comment il se fait que vous erriez séparée d’eux et seule dans ce pays sauvage ?

— Ce pays n’est sauvage qu’en apparence. Il y a, à mi-côte de ce rocher et tout près de ce village, de petites villas où j’ai demeuré l’année dernière avec ma tante ; j’en vais louer une pour quelques jours avant de me décider à prendre un parti.

— Mais le prince ?…

— Eh bien, le prince !… dit-elle en riant, le prince et le docteur, avec leurs cuisiniers et leurs marmitons, font, en ce moment, voile vers Livourne ou vers Ajaccio ; que sais-je ? Cela dépend du vent qu’il fait, et je ne m’en soucie guère. Est-ce que j’aime le prince, moi ? est-ce que je lui appartiens ? est-ce qu’il a le moindre droit sur moi ? Je suis libre ; j’ai eu envie de me marier, je lui ai fait l’honneur de le choisir, je me suis ravisée ; après ?

— Je ne me suis permis aucune réflexion ; je vous demandais seulement si ces aimables et braves personnes étaient en sûreté.